Voyage voyages de Laurent Graff : dédicace aux procrastinateurs

Publié le par Noisette

Voyage voyages de Laurent Graff : dédicace aux procrastinateurs

Avant hier, j'ai fait la connaissance de Patrick : le personnage principal du roman Voyages voyage de Laurent Graff.

Qui est Patrick ?

Si Patrick était une citation il serait celle de Marcel Proust : "Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre, encore que la vivre, ce soit encore la rêver. »

Patrick est un homme qui s'ennuie et qui pour se rassurer et se donner de l'espoir se dit qu'un jour il partira et que tout changera, lui y compris.

Croupier dans un casino de Caen ( on a déjà l'ambiance VDM ) Patrick Perrin décide un jour alors qu'il a la trentaine de voyager, de partir à l'aventure, il achète donc une valise.

A ce stade, tout va bien, tout est plutôt cohérent mais très vite on comprend une chose : Patrick n'est pas prêt de partir...

Dès les premières pages on devine un homme introverti, névrosé ; un homme qui survit tant il a peur de vivre car vivre c'est accepter d'être heureux mais vivre c'est aussi accepter de souffrir. Ce n'est pas un sociopathe ni un égoïste comme on pourrait être tenté de le penser. On le découvre au fil du récit en particulier lorsqu'il héberge une jeune voyageuse en galère : il refuse simplement toute émotion déstabilisante. Il a besoin de sécurité et amasse de l'argent soi-disant pour son voyage or il n'y en a jamais assez à son goût et le départ est constamment repoussé.

Patrick vit dans un appartement immaculé très modestement meublé : il a l'intention de partir. Il refuse de devenir propriétaire pour éviter de s'attacher à un lieu mais demeure incapable de s'éloigner de son appartement. Il évite également les relations amoureuses sérieuses et a fuit une opportunité de mariage qui s'était présentée à lui. De toute évidence, Patrick a un sérieux problème avec l'engagement et l'attachement pourtant paradoxalement malgré toute cette liberté il semble prisonnier de lui-même

De temps en temps il prend un verre avec Pascal son voisin divorcé et dépressif qui se bourre la gueule en appelant cela "vivre". Patrick le méprise et se considère comme très différent de cet homme, pourtant du point de vue du lecteur on ne mesure pas bien la différence de degré de misérabilisme entre les deux. On a la sensation que Pascal assume son mal-être alors que Patrick est dans déni et le contrôle.

Il a diverses aventures avec par exemple la serveuse du restaurant thaï dont il est habitué pour laquelle il éprouve une forme de respect et d'attachement inavoué mais aussi avec d'autres femmes avec un détachement frôlant le mépris.

Le voyage va s'effectuer dans le temps et non dans l'espace car Patrick ne bouge pas. En revanche, il organise beaucoup en se faisant vacciner contre toutes les maladies tropicales possibles et imaginables, en achetant livre, couteau d'aventurier, bermuda et lunettes de soleil. Patrick est un pro de la procrastination, un aventurier du canapé perdu.

On se trouve confronté à un personnage qui n'assume pas son besoin de sécurité, qui n'ose pas s'avouer qu'il n'aime pas le changement, ses non-choix sont dictés par la peur et son mépris pour les autres et leurs schémas est aussi teinté d'admiration. Son périple immobile le mène jusqu'à la retraite, son physique ne change pas : le temps altère ceux qui se donnent la peine de vivre, en se protégeant de la vie Patrick se protège également du vieillissement. On ne peut s'empêcher de faire un rapprochement avec la chanson de Jean-Jacques Goldman "La vie par procuration" et tout particulièrement cet extrait " le temps qui nous casse, ne la change pas. Les vivants se fânent mais les ombres pas."

Le style est plein d'humour décalé pourtant on ne ressent pas de malaise, toute l'ambiance du roman est fait de non-dits subtiles qui en disent long. Le regard est porté sur l'impermanence des choses qu'il faut accepter si l'on veut jouer le jeu de la vie. Patrick demeure ainsi figé en spectateur au milieu du temps qui passe et le lecteur se délecte du récit de sa passivité.

Publié dans Livres

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article